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24 novembre 2016 4 24 /11 /novembre /2016 20:25

COMMENT PRÉVENIR LE DÉLUGE ?

 

L'article de l'analyste politique Patrick Mbeko de ce jour, intitulé "Le Maréchal Mobutu et son après moi, c'est déluge" a suscité un vif débat, caractérisé par une constance, à savoir, la tradition de mauvais diagnostic de la crise africaine en général et congolaise en particulier. De mon point de vue, la crise congolaise permet d'étudier toutes les crises en Afrique, compte tenu de l'état d'esprit partisan chronique de ceux qui débattent. J'apprécie personnellement la rigueur des analyses de Patrick Mbeko. J'ai encore ce matin le sentiment qu'il n'a pas été compris par certains commentateurs passionnés, radicalisés, pour reprendre un terme en vogue.

 

La classe politique du régime Mobutu, qui compose d'ailleurs celle du Président Joseph Kabila, avait-elle pris la prophétie du Maréchal au sérieux ?

Le génie d'une classe politique ou d'une intelligentsia consiste à veiller en toutes circonstances et non à constater les dégâts. C'est à partir de l'attitude de la classe politique et de l'intelligentsia face à la situation de leur pays qu'il faut partir pour entreprendre une analyse sérieuse et indépendante d'une crise.

Qui ne voulait pas de la crise devait se préoccuper de savoir comment la prévenir. C'est en se dotant d'une grande capacité de prévention que l'on peut acquérir celle de lutter éventuellement, lorsque celle-ci n'a pas suffit. Le constat, aujourd'hui, est que ni la classe politique qui décide, met en oeuvre et contrôle, ni l'intelligentsia qui doit mobiliser son génie pour comprendre, concevoir et conseiller la classe politique n'ont accompli leur mission, elles l'ont même trahi. C'est ce que la situation montre.

Si la classe politique et l'intelligentsia n'avaient pas géré le pays comme leur mangeoire, n'avaient pas passer leur temps à "se servir au lieu de servir", la situation du pays ne serait pas telle qu'elle est.

La déclaration du Maréchal Mobutu aurait vite préoccupé la classe politique et l'intelligentsia si elles étaient au service de la nation. Les élites africaines, politiques, économiques, universitaires, etc. n'ont jamais travaillé avec tout le sérieux exigé par cinq siècles d'occupation étrangère. Elles auraient prévenu ce déluge mais ils ne l'ont pas fait. Tout le monde s'est servi au lieu de servir. Finalement, pourquoi se plaindre lorsqu'on a pas eu, à temps, le réflexe qui pouvait sauver le pays ? Tout le monde prétend avoir eu peur d'affronter le dictateur mais personne n'a eu peur de se servir.

 

Le refus du partage de la responsabilité de la crise

 

Le plus grand tort que chacun commet contre l'Afrique est de se prétendre irresponsable de ce qui se passe. Chacun joue son rôle dans la crise africaine : nationaux à tous niveaux comme étrangers donneurs des leçons et principaux bénéficiaires de la situation.

Comment peut-on ne pas avoir honte de prétendre que le chef de l'État commettait des forfaits sans qu'il y ait une courroie de transmission ? On appelle système : "un ensemble d'éléments en interaction" (Von Bartelenffy). Chaque acteur politique ou intellectuel a joué son rôle, consciemment d'ailleurs, contre le bien du pays. Et c'est malhonnête d'affirmer qu'une seule personne est responsable de notre situation.

 

Qui connaît toutes les mauvaises décisions prises par le chef de l'État et les a dénoncées à temps ?

 

J'ai eu la surprise de constater que certains commentateurs des faits politiques et historiques africains en général et congolais en particulier, qui parlent de la responsabilité exclusive de leurs chefs d'États en ce qui concerne la situation de leurs pays, ignorent l'existence du journal officiel, dans lequel les décisions les plus importantes sont publiées et diffusées. Comment dans ce cas savoir si des bonnes décisions ont été prises et n'ont pas été mises en oeuvre par la haute administration ?

 

Juger la situation du pays à vue d'oeil est un acte réservé aux communs des mortels pas aux élites.

 

Malheureusement, il est difficile de distinguer un commentaire d'un politique, d'un intellectuel à celui d'un "illettré" Africain lorsqu'il s'agit de porter un jugement historique. En effet, à lire les commentaires des uns et des autres, la passion, l'ignorance, la mauvaise foi et le fanatisme prédominent par rapport à l'analyse des faits.

Quelle est l'attitude ou la responsabilité des uns et des autres pendant que les chefs d'État décident mal, pillent, tuent, etc. ? Ceux-ci décident et exécutent eux-mêmes leurs décisions et se trouvent en train d'agir partout ?

 

Ce qui n'est pas fait représente un bilan mais ce qui a décidé aussi.

 

Le pire est de faire croire aux lecteurs que les chefs d'État africains décident seuls alors que les parlementaires sont élus et se battent à chaque échéance électorale pour présenter ou se représenter. Pourquoi prendre un tel engagement en sachant que l'on aura à travailler avec un dictateur, et qu'aucune initiative favorable au progrès social ne sera adoptée ? Il s'agit là d'un délit de complicité de la destruction du pays et du continent.

 

Les Africains se sont-ils mis d'accord pour que la crise perdure et se perpétue ?

 

Lorsque la prévention des crises fait partie de la culture politique et intellectuelle, il y a des situations indésirables qui ne se répètent pas ou ne durent pas longtemps. Ce n'est pas le cas en Afrique. Ce n'est pas aussi le cas au Kongo. Il y a donc une complicité collective dans la continuité de la crise ou des crises.

En ce qui me concerne, je pense, après avoir mené des observations sur le terrain, que les bonnes analyses des crises africaines et celles du Kongo doivent comment dans les familles, les rues, les quartiers, parmi ceux qui pleurnichent quotidiennement ou critiquent les dirigeants africains, qui ne sont pas d'ailleurs irréprochables, loin de là, afin d'identifier ce qu'ils font pour que plus rien ne soit comme avant.

 

Nous avons tous le devoir de prévenir le déluge

 

Plus des vingts à trente ans après la mort du Maréchal Mobutu, Sekou Touré, Massamba Débat, Ngouabi, HOuphouet Boigny, Léopold Sédar Senghor, etc. l'explication individuelle des crises africaines ne plus soutenable.

Mobutu avait affirmé : "Après moi, c'est déluge", et alors ? Il est mort avec le pays ? Il est parti avec les ressources du pays ? Les élites n'ont toujours pas compris ou elles souhaitent que la situation perdure ?

Si les conséquences du déluge de Mobutu sont insupportables, alors qu'avons-nous fait pour que la situation change ? "Qu'as-tu fais afin que ton chef d'État échoue ?"
Il faut donc travailler à prévenir le déluge à venir tout en se souvenant de celui qui est passé, et dont les méfaits persistent. C'est en commençant à accepter la vérité que nous n'avons pas collectivement été à la hauteur. Chacun doit donner le meilleur de lui-même, faire progresser son domaine de compétences et assumer son bilan.

 

Le déluge st-il terminé ?

 

C'est tout l'intérêt de l'article de Patrick Mbeto sur la problématique dit "après moi, c'est déluge". Il semble que le déluge n'est pas terminé. Le présent déluge est l'inconscience et l'irresponsabilité de tous. "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis" dit une sagesse française. Si le déluge de Mobutu fait mal, il faut prévenir tout autre déluge. C'est toute la société qui doit se mobiliser, chercher dans le dialogue, la concertation, le consensus, les meilleures solutions. Nous avons le devoir de comprendre qu'une mauvaise analyse historique complique la recherche d'une solution pertinente et durable à une situation donnée.

Tout l'intérêt des travaux de Patrick Mbeko réside dans sa capacité à mettre en évidence les travers de ce qu'il appelle La stratégie du chaos. Son ouvrage sur cette problématique, très fouillé, est à conseiller et à lire soi-même. Patrick Mbeko n'est pas un analyste de constats, il est celui qui est à la recherche des causes profondes des situations observées.

 

"Chaque génération a une mission à accomplir. C'est à elle de l'accomplir ou de la trahir" (Frantz Fanon).

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commentaires

M
Cet article fera parie de mon ouvrage intitulé : Les suicides ontologiques et symboliques des Noirs, qui praîtra en décembre 2018, aux éditions Pyramide Papyrus Presse, à Paris.
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