Construire un musée pour la recherche culturelle en Angola
« Un peuple sans conscience historique est une population »
Cheikh Anta Diop
Une preuve de prise de conscience culturelle et historique
Nous venons d’apprendre avec beaucoup d’intérêt l’initiative des étudiants angolais dans le domaine de la culture qui propose aux autorités la construction d’un musée de recherche culturelle.
Nous adressons aux initiateurs nos encouragements en même temps que notre conception du sens que doit prendre la réalisation pour le bénéfice de notre génération et celles qui viendront après
nous. Un peuple indépendant et qui veut jouir de son indépendance, et donc de sa capacité de décider de son destin, est celui qui prend l’initiative culturelle et historique. Pour nous, la
culture est notre manière de nous penser et d’agir au quotidien. Vivre dignement, c’est être capable de prendre des initiatives, les réaliser et en jouir. L’histoire est tout ce que nous faisons
en vue de nous survivre. Voilà en quoi, l’initiative des étudiants angolais en culture nous interpelle :
« L'étudiant du cours de géographie/histoire, Leonardo Adriano, a souligné que l'existence d'un musée dans une région déterminée, promeut l'éducation et la culture, mettant en exergue la
primauté de la fonction éducative qui correspond à sa démocratisation du savoir, d'où son importance. … Il a affirmé que la coopération entre le musée et l'école est considérée comme une action
culturelle qui est un processus de médiation de l'action d'éducation, car les musées sont des lieux où l'on expose divers matériels qui font partie de l'histoire des hommes. »
Une conception élevée du patrimoine culturel
L’idée même du patrimoine culturel est de saisir que la culture est la science des sciences d’autant plus qu’elle représente pour chaque peuple la somme des expériences
conclusions réalisées au cours du temps et qui lui ont permis de faire face à ses besoins et défis. Puisque la culture est le fruit d’une longue expérience et donc
scientifiquement attestée, accessible à la majorité d’un peuple et lui permet de s’adapter en toutes circonstances, il revient à chaque génération de la recevoir telle qu’elle est, de l’enrichir
selon son temps, ses opportunités et contraintes tout en la préservant ; enfin de l’étudier, la thématiser et la transmettre en vue de faciliter la tâche aux générations à venir. Ainsi
pensée et pratiquée, la culture, richesse des richesses, constitue notre première préoccupation et responsabilité. La connaître, la découvrir et redécouvrir constamment, est de notre
responsabilité au quotidien. La prédominance de la dimension économique du développement est un arbre qui cache la forêt nommée « sous-développement ». Le sous-développement est un état culturel. Les travaux du LARA
concluent que l’économique n’est qu’une des dimensions de la culture. Il n’y a pas de développement sans conscience culturelle et
historique. L’initiative des étudiants en culture constitue une prise de conscience de la dimension culturelle du
développement. Elle démontre une prise de conscience de la fonction stratégique de la culture. Nous savons que le « sous-développement durable » que vit l’Afrique aujourd’hui résulte à la fois de la
destruction d’une partie appréciable de notre culture au contact de l’esclavage et du colonialisme, mais aussi de l’insuffisance de sa connaissance et de sa relativement faible implication dans
notre recherche quotidienne des solutions à nos défis.
Qu’est-ce que la culture pour nous ?
Pour nous, « La culture est l’ensemble des valeurs transmises des ascendants aux descendants sans le consentement des descendants ». Une culture doit demeurer telle qu’elle est reçue dans ses
fondements. Il revient donc à la responsabilité de chaque génération, pour ne pas la trahir mais l’assumer, de l’enrichir. On ne réforme jamais une culture comme le
colonialisme, soutenu par l’Eglise et sa croisade d’évangélisation l’impose aux Africains. Il n’y a jamais des réformes culturelles en Occident. Par contre, les réformes initiées par chaque
génération, dans le contexte propre de son existence et de ses relations internationales, doivent contribuer au dialogue des cultures et des civilisations, à la coexistence pacifique nationale et
universelle, en recherchant constamment des formes appropriées d’adaptation fondées sur la culture locale, nationale et mondiale.
Concevoir un musée ne doit pas être une tentative de « triage » de notre culture
L’idée de concevoir des écomusées pour encourager cette initiative de recherche culturelle nous semble la plus efficiente. Comme le font l’Unesco et tous les Etats qui ont acquis une
grande expérience en matière de conception et de mise en œuvre des politiques culturelles, l’Angola notre pays peut procéder dans un premier temps, cela nous semble une urgence historique que les
dirigeants doivent assumer à tous les niveaux, à la classification au titre de patrimoine culturel et naturel de l’Angola, une part appréciable des ressources culturelles matérielles et
immatérielles que les composantes sociales et politiques de chaque localité voudront voir rapidement préserver. Cette politique culturelle de classement au titre du patrimoine national pourrait
être élargie en conséquence pour contribuer à une préservation mondiale des principaux sites en qualité d’écomusées. Nous pensons aux villages, aux aires de pratique du pastoralisme les plus
anciens ou de culture des plantes utilisées dans l’artisanat, etc.
Dans ce sens, le musée doit tout contenir car la pratique du tri de ce qui est ou non le plus représentatif de notre culture est une approche risquée pour la compréhension par les générations
futures de l’unité culturelle de notre peuple et notre pays. Il faudra se souvenir qu’une part considérable des chefs d’œuvres angolais se trouve dans les musées occidents ou dans des collections
privées dispersées à travers le monde. La construction de ce musée doit être le point de départ d’une nouvelle politique culturelle en Angola.
La conception du musée en tant que ressource matérielle pour la recherche culturelle
Le fait qu’une l’initiative d’une telle importante est prise par la génération montante nous reconforte pour l’avenir de notre pays. Les dirigeants de notre pays doivent
soutenir rapidement cette initiative et doivent prendre conscience et agir de toute urgence. Les étudiants en culture, qui sont les futurs gérants de notre avenir culturel doivent trouver les
conditions favorables pour œuvrer pour la sécurité culturelle de notre pays. Pour cela, deux objectifs peuvent immédiatement être poursuivis :
1 - Conceptualiser le « patrimoine culturel » selon la mentalité héritée de nos ancêtres.
Les nombreuses définitions du patrimoine culturel fournies dans la littérature échappent à la vision africaine du patrimoine culturel et à celle de l’héritage. Ainsi donc, tout en s’inspirant de
ces définitions, il nous semble opératoire de procéder à une définition culturellement convenable aux ambitions de notre pays. Nous devons nous inspirer de l’expérience de la manière dont nos
ancêtres les plus récents ont reçu, vécu, entretenu, enrichi et nous ont transmis notre culture selon leurs générations et époques.
2 - La conception du musée doit être culturellement durable
Le musée doit être conçu de telle manière qu’il vive et nous survive. Sa conception ne doit pas être en rupture avec la production matérielle et immatérielle que nos ancêtres nous léguée. Cela
veut dire aussi que les architectes qui concevront le musée ne conçoivent pas un musée éloigné de la connaissance et de la mentalité de notre peuple. Ils doivent solliciter
entièrement notre culture, tous ses représentants, usagers et consommateurs. Il suffit de constater que notre pays n’a pas profité de l’architecture léguée par nos ancêtres. La recherche
culturelle comprend indispensablement une dimension architecturale. Le lieu où seront fixés pour l’éternité une partie de notre patrimoine culturel doit correspondre à la mentalité et à
l’environnement de ceux qui l’ont produit. Cheikh Anta Diop (1923-1981), père de l’historiographie
africaine, auteur du célèbre monument de la culture africaine que représente son ouvrage fondamental : Nations nègres et culture, avait précisé comment l’africain doit procéder dans sa
création. C’est dans cet esprit que nos ancêtres ont créé de tout temps. C’est dans cet état d’esprit que nous devons inventer les conditions appropriées pour nous développer culturellement et
durablement. La culture est l’outil le plus efficace du développement.
« C’est donc à une double exigence sociale et intellectuelle que notre art devra être soumis, pour être valable à nos yeux. Ainsi l’artiste africain qui écrira pour le seul plaisir de
chante la beauté des nuages, qui fera des descriptions par pure délectations et pour faire montre de sa virtuosité, ou qui sculptera des formes pour elles-mêmes, vit en dehors des nécessités de
son époque. Il en est de même de l’artiste qui tournerait les yeux vers le passé et se complairait dans une évocation pure et simple de celui-ci ; car se faisant, il oublierait que la
tradition bien comprise ne doit pas nous emprisonner dans une routine, mais doit nous servir de tremplin pour élever notre monde au niveau de l’époque moderne. Par contre, l’artiste qui posera le
problème social dans son art, sans ambiguïté, d’une façon propre à secouer la conscience léthargique ; l’artiste qui posera au cœur du réel, pour aider son peuple à découvrir
celui-ci ; l’artiste qui saura exécuter des œuvres nobles dans le but d’inspirer un idéal de grandeur à son peuple, qu’il soit poète, musicien, sculpteur, peintre ou
architecte, est l’homme qui répond, dans la mesure de ses dons, aux nécessités de son époque et aux problèmes qui se posent au sein de son peuple. »
3 - Il y a une véritable urgence d’enrichir la taxonomie de notre recherche culturelle : inventorier, vivre, entretenir, thématiser, transmettre, découvrir et faire
découvrir.
L’initiative des étudiants en culture doit interpeller au plus haut niveau toutes les composantes sociales et politiques de notre pays. La responsabilité des gouvernants demeure toutefois la plus
indispensable et la plus significative. Le peuple propose et décide et l’Etat met en œuvre. Un Etat qui fonde son action sur la culture de son peuple réussit à coup sûr. Ainsi nous l’avons
écrit : « Gouverner, c’est marquer culturellement son temps ». La recherche culturelle doit
tendre nécessairement à faire prendre conscience à toutes les composantes de notre peuple que la culture est notre principale source de richesse. C’est pace que cette dimension enrichissante y
compris économiquement et financièrement n’a pas été souvent mise en valeur qu’elle apparaît comme le parent pauvre de la vie nationale. Les efforts consentis par les autorités angolaises sont
considérables. Il doit en résulter une mobilisation qui puisse se manifester dans la capacité collective à créer et soutenir légalement et financièrement les initiatives et entreprises
culturelles. Le peuple angolais est culturellement inventif et innovateur comme le prouvent non seulement les créations héritées mais celles d’aujourd’hui. La mobilisation des autorités en faveur
des créations actuelles doit se ressentir au niveau des créations anciennes. Il importe par la même occasion de souligner la nécessité et l’urgence d’une saine coopération en matière de recherche
culturelle entre les autorités locales et nationales, les chercheurs en culture et les entrepreneurs culturels. C’est la condition indispensable pour entretenir la vitalité culturelle de
notre pays.
4 - La contribution de l’expérience en matière de recherche culturelle du Laboratoire d’Anthropologie de la Renaissance Africaine (LARA), à Paris (France)
Depuis plusieurs années déjà, le LARA organise des cours et conférences sur « L’unité culturelle de l’aire bantoue », dans recherche culturelle interdisciplinaire menée
par les chercheurs du laboratoire et en collaboration des institutions françaises et européennes spécialisées en matière de culture. Cette initiative a été lancée à la suite d’une conférence
organisée en collaboration avec l’association Angola Horizon sise à Paris sur L’unité culturelle de l’Angola. Le LARA se propose de soutenir l’initiative des étudiants en
culture dans la mesure de ses moyens. Sa contribution et sa collaboration peuvent se décliner une participation à l’enseignement et à la recherche. Elle peut aussi, entre autres, consister à
toutes formes d’expertise.
Nous continuerons en conclusion à suivre le développement de ce projet qui nous tient à cœur. Il revient aux initiateurs de nous impliquer dans la mesure du possible à toutes ou à une partie de
leurs activités.
Mawete Makisosila
Homme de culture
Directeur de Pyramide Papyrus Presse, Editeurs et du Laboratoire d’Anthropologie de la Renaissance Africaine (LARA) – Paris
Tél. /fax : 0033(0) 1 42 43 64 57 Port. : 0033(0) 6 84 46 21 46
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